La Bataille d’Anthon
(11 juin 1430)
Les raisons de cette bataille
Souvent considérée comme un épisode important des guerres du XVe siècle entre le royaume de France et le duché de Bourgogne, la bataille d’Anthon avait bel et bien pour enjeu l’intégrité du Dauphiné, considéré, à tort, comme le maillon le plus faible du royaume de Bourges.
Dès 1426, Louis II de Chalon (1390-1463), prince d’Orange et vassal franc-comtois de Philippe le Bon (1396-1467), duc de Bourgogne, s’était lié par une convention secrète avec le duc de Savoie, Amédée VIII, en vue de dépecer le Dauphiné. En effet, le prince d’Orange avait le rêve ambitieux de réunir son domaine de Franche-Comté à sa Principauté d’Orange, par la vallée rhodanienne, à travers le Dauphiné.
Depuis le désastre de la bataille de Verneuil (17 avril 1424), Amédée VIII pensait que la conquête du Dauphiné par Louis de Chalon était une chose tout à fait réalisable puisque l’élite dauphinoise fut complètement anéantie. Ainsi, il envoya trois cents lances triées sur ses réserves, tout en se tenant à l’écart. Bien qu’appuyant son vassal ambitieux, le duc de Savoie rêvait toujours de la Grande Savoie, qui s’étendait, jadis, des Alpes à Lyon, et trouva ainsi l’occasion de remettre en cause le traité de Paris, du 5 janvier 1355, qui établissait la limite entre la Savoie et le Dauphiné. Il espérait sans doute récupérer ses possessions en Viennois et en Velin.
L’agression du Dauphiné par Louis de Chalon
De novembre 1427 à août 1428, Louis de Chalon agit seul sans tenir compte de la trêve intervenue entre Charles VII et le duc de Bourgogne. Il fit passer le Rhône à deux cents hommes d’armes qui pénétrèrent en Dauphiné au port d’Anthon. Le 1er mai 1428, ces soldats, issus de bandes de « routiers », eurent raison des quelques troupes delphinales occupant les châteaux contestés d’Anthon, de Colombier et de Saint Romain. Ces forteresses reçurent une garnison d’archers et d’arbalétriers bourguignons. Les lieutenants du prince d’Orange, Antoine Ferrières et Jean Grand, mirent en geôle plusieurs châtelains et fonctionnaires delphinaux dont Leuczon de Varey, Jean Richier, respectivement châtelains de Colombier et d’Anthon, ainsi que Falcon de Laigue, Antoine de Chaponnay et le notaire Jean Valencin. Anne de la Chambre, veuve de Bertrand de Saluces, décédé à la bataille de Verneuil, fut chassée de son château d’Anthon.
Mais, le redressement du royaume de France, grâce aux initiatives de la Pucelle d’Orléans, contraint le prince d’Orange, inquiet, à accepter un compromis avec le gouverneur du Dauphiné, Raoul VI de Gaucourt (1375-1462), le 14 août 1428. Les portes des châteaux de Pusignan, d’Anthon et de Colombier furent à nouveau ouvertes aux commissaires delphinaux et les garnisons orangistes durent quitter les forteresses.
Louis de Chalon, quelque peu humilié, préparait en secret sa revanche. Il fit preuve de bonnes volontés mais continua à occuper les châteaux de la baronnie d’Anthon. Ainsi, durant l’hiver 1429_ 1430, il fit fortifier le port d’Anthon et installa des garnisons dans les principaux châteaux de la baronnie. Le château de Pusignan fut de nouveau occupé par des troupes orangistes. La Bâtie d’Azieu, forteresse delphinale, fut prise d’assaut et conquise en quelques heures. L’inquiétude se répandit à travers tout le pays, même jusqu’à la cité de Vienne, qui se prépara à résister aux assauts des hommes d’armes du prince d’Orange.
Dès les premiers mois de 1430, on signala des levées d’hommes d’armes en Bourgogne. Le duc fut enfin décidé à mener une guerre totale contre le Dauphiné et le royaume de France. D’ailleurs, Louis de Chalon écrivit à son châtelain d’Anthon, Antoine Ferrières, en ces termes: « Très chier et bien amé escuier… lettres de Monsieur de Bourgogne, lesquelles contiennent, qu’il veut que nous fassions la guerre au Dauphiné le plus fort que nous pouvons… » Il recommanda cependant de faire comme si rien ne se préparait, en obéissant aux gens du conseil delphinal.
La réaction du gouverneur du Dauphiné.
Raoul de Gaucourt, nouveau gouverneur du Dauphiné depuis le 1er novembre 1428, compris rapidement les intentions de Louis de Chalon. Il réunit les Etats du Dauphiné, le 20 mai 1430, à la Côte-Saint-André, pour voter un subside. Il se rendit ensuite à Annonay où il engagea les routiers espagnols de Rodrigue de Villandrando (1386-1457), qui traversèrent le Rhône à Vienne, le 26 mai. Le lendemain, il donna rendez-vous devant le château d’Auberive, à Humbert de Grolée (1400-1445), sénéchal de la ville de Lyon, qui amenait avec lui son contingent lyonnais ainsi que deux compagnies de Lombards commandées par Georges Bois et Burnon de Caqueran, seigneur de Saint-Georges-d’Espéranche.
Dès que la forteresse d’Auberive fut enlevée (le 27 mai), la petite armée se dirigea vers le nord et pénétra en Velin où elle établit son camp sous les murs du château de Pusignan, le 7 juin 1430. La garnison orangiste ne put résister longtemps et capitula dès la première attaque. Le jour suivant, ce fut la Bâtie-d’Azieu qui se rendit après un assaut terrible. Le vendredi 9 juin, l’armée delphinale se trouva devant le bourg fortifié de Colombier, qui comportait une forte garnison orangiste. Le capitaine châtelain résidait alors dans la puissante tour maîtresse circulaire dominant le village, depuis laquelle des archers et arbalétriers pouvaient tirer sur les assaillants. Pour réduire cette place forte au plus vite, le châtelain de Crémieu, Sibuet de Rivoire, fut chargé de ramener les bombardes de la cité de Crémieu.
Le bourg fut pris dans la journée mais une pluie torrentielle contraint les Dauphinois à renoncer au siège de la tour maîtresse où se trouvaient les derniers défenseurs. Le lendemain matin, vers 6 heures, la pluie cessa; ce qui permit aux hommes d’armes de Raoul de Gaucourt de poursuivre leur attaque du dernier réduit. En milieu de journée, après une défense acharnée, les Orangistes déposèrent les armes. Entre-temps, le prince d’Orange, qui venait de passer le Rhône la veille, dépêcha un groupe de soldats à Colombier afin de savoir ce qui s’y passait. Sur le chemin de Colombier, les hommes de Louis de Chalon se heurtèrent aux Milanais de Burnon de Caqueran qui venaient à leur rencontre, mais au lieu d’engager la lutte, préférèrent s’enfuir car ils étaient persuadés que la position de Colombier était forte et quelle pouvait repousser tous les assauts dauphinois. Grave erreur de leur part car il ignorait alors la prise de cette place forte.
Le dimanche 11 juin 1430, l’armée dauphinoise entendait la messe célébrée par le chapelain du gouverneur du Dauphiné, au petit jour dans la plaine. Après ce moment de recueillement, elle s’ébranla en direction d’Anthon. Louis de Chalon, perplexe, décida de rassembler ses chevaliers et sa piétaille, puis se dirigea vers Colombier, en vue de porter secours à ses hommes. Dans quelques heures, la bataille d’Anthon allait faire rage.
Le champ de bataille.
En ce temps-là, le grand bois des Franchises, dans lequel s’est déroulé la bataille, était beaucoup plus étendu et plus compact qu’il ne l’est aujourd’hui. Il s’étendait depuis les environs d’Anthon jusqu’à la maison-forte de Malatrait et la ferme de la Batterie situés un peu au sud de Janneyrias. A l’est de ce village, ce trouvait des marécages que l’on appelle aujourd’hui « marécages de la Laichère ».
La bataille se déroula presque uniquement dans les bois.
Les forces en présence.
Selon les chroniqueurs, l’armée dauphinoise se composait alors d’un peu plus de 1 600 hommes répartis en trois groupes: les Dauphinois et Lyonnais du baron de Maubec, Hugues II (approximativement 600 hommes dont 100 chevaliers, 300 archers et arbalétriers et 200 piquiers), les routiers de Villandrando (environ 400 hommes armés de vouges, de masses, de piques…), et les mercenaires Milanais de Caqueran (à peu près 600 hommes dont un tiers de chevaliers). Parmi les combattants, il y avait Pierre d’Aquin, Louis et Arthaud d’Arces, Humbert de Beaumont, Georges de Berenger, Guigues Borel, Ponson Bouvier, Pierre Brunel, Falcon de Buffevent, Arthaud de Chabestan, Humbert de Chaponnay-Feisins, Guillaume Chevalier, Guy de Dorgeoise, Jean du Fau, Lantelme des Granges, Antoine Gras, Guillaume de Guiffrey, Antoine d’Hyeres, Hugues de Montchenu, Antoine Rachais, Pierre de Roussillon, Louis de Saint-Marcel, Antoine de Saint-Ours, Pierre Terrail, Guillaume de Tournon…
Selon le rapport officiel, l’armée du prince de Chalon comptait environ 4 300 hommes dont 1 500 chevaliers, 1 000 archers, 600 arbalétriers, 1 200 hommes armes (piquiers, épéistes, massistes…). Voici la liste des nobles qui accompagnèrent Louis de Chalon dans cette expédition contre le Dauphiné: les seigneurs de Beaufremont, de Miribel, de Moullens, de Beysses, de Montagu-Neufchâtel, de Virieu, de Bussy, de Varembon, le comte de Fribourg, les chevaliers de Troyes et de La Chapelle, François de La Palud, Humbert Maréchal, Guigues de Sallenove, Clavin du Clos, Jean de Beaufremont, Antoine de Vergy, les sires de Chissé et Beaurepaire…
Les troupes dauphinoises durent donc faire face à une armée trois fois plus importante et mieux organisée. Les chefs dauphinois durent, lors d’une réunion secrète, mettre en place une stratégie afin de repousser le prince de Chalon.
La stratégie dauphinoise.
Connaissant bien le terrain et notamment les bois, les dauphinois pensèrent à une stratégie en deux étapes:
Arrêter la marche de la colonne ennemie et paralyser son action combative en la bloquant dans les taillis impénétrables qu’elle traversera, puisque le chemin menant à Colombier passe au milieu du bois des Franchises.
Les dauphinois connaissaient deux points stratégiques sur le parcours d’Anthon à Colombier: le point de croisement du chemin de Colombier avec la route de Lyon et celui où ce chemin sortait du bois, au niveau de la ferme de la Batterie.
Lorsque la colonne orangiste sera engagée entre ces deux points, les forces dauphinoises, cachées en embuscade, se manifesteront en massacrant tous les chevaliers et hommes d’armes fidèles à Louis de Chalon, en les empêchant de refluer vers la route de Lyon. Villandrando aura la charge de garder la sortie du bois.
L’immobilisation des orangistes dans le chemin et la présence des troupes dauphinoises tout autour provoqueront l’inquiétude dans les rangs ennemis. Pour accentuer la peur parmi les orangistes, les dauphinois hurleront et les bombardes venus de Crémieu seront là pour faire beaucoup de bruit. Cette manœuvre provoquera un sauve-qui-peut général et les hommes du prince s’en retourneront vers Anthon.
Cette stratégie, très théorique, devra permettre la victoire du camp dauphinois.
La bataille s’engage
En bon ordre, les forces dauphinoises vont prendre les positions d’embuscade assignées. Le premier temps de l’offensive s’exécuta de point en point, l’armée orangiste venait de franchir la route de Lyon à Crémieu et la queue de la colonne était engagée au-delà de cette route quand Humbert de Grolée et ses hommes vinrent fermer cette porte derrière elle.
Les premiers cavaliers de la colonne étaient à la Batterie, prêts à sortir, quand les routiers de Villandrando se jetèrent à leur tête, lance au poing. Les chevaux blessés se cabrèrent, les hommes tombèrent et le massacre commença dans un désordre indescriptible. C’est dans la plus grande confusion que, pêle-mêle, la tête de la colonne orangiste, empêtrée, décimée, cherchant une échappatoire, reflua et se retourna sur le reste de l’armée de Louis de Chalon. En même temps, des cris de guerre, suivant le mot d’ordre, sortent des rangs dauphinois.
La marche confiante de l’armée orangiste devint un sauve-qui-peut général. Les cavaliers orangistes abandonnèrent dans les bois leurs destriers sellés et harnachés, les hommes de trait et d’armes laissèrent arcs, épées, lances et arbalètes sur le sol en essayant d’échapper à la violence des combats et de la fureur dauphinoise. Les survivants se dirigèrent vers Anthon, en laissant de nombreux morts derrière eux au passage de la route de Lyon-Crémieu où furent obligés de se découvrir devant les dauphinois.
Une heure plus tard, près de 4 000 orangistes avaient repassé la grande route de Lyon à Crémieu ; la forêt des Franchises et les bois jusqu’à Anthon en étaient remplis. On extermina les fuyards dans les bois et les champs de blés. Ce fut une déroute totale et définitive : Louis de Chalon perdit la bataille entre 13 heures et 14 heures.
Le surlendemain, le 13 juin, à Crémieu furent vendus 1 200 chevaux sellés et harnachés. Cette vente permet de constater que seulement 300 cavaliers orangistes purent s’échapper à cheval.
Quelles sont les pertes ?
Les pertes orangistes sont élevées du fait de l’effet de surprise et de la débandade : 300 morts. Sur le champ de bataille sont étalés raid morts les sires de Beaufremont, de Miribel, de Moullens, de Beysses, les chevaliers de Troyes, de la Chapelle… Le comte de Fribourg ainsi que les sires de Montagu-Neufchâtel (ce seigneur, récemment promu dans l’ordre de la Toison d’Or, du fait de sa lâcheté au combat, fut dégradé par le duc de Bourgogne) et de Virieu ont, selon la chronique, détalés comme des lapins pour échapper aux hommes d’armes de Grolée. Quand aux sires de Bussy, de Varembon, fils du seigneur de Conches, de la Ferté d’Estrabonne et Jean de Vienne, ils sont les hôtes de marque des dauphinois. François de la Palud, qui eut d’ailleurs le nez emporté par un coup de hache, dut avoir recours à sa mère Aynarde de la Baulme pour payer une rançon de 8 000 florins d’or.
Le prince d’Orange ne dut son salut qu’à la rapidité de son vigoureux destrier. En effet, il repassa le Rhône à Anthon, selon Mathieu Thomassin, en se précipitant en armure dans le fleuve avec sa monture et réussit malgré le fort courant à gagner la rive opposée.
Il paraîtrait cependant qu’il traversa le Rhône en bateau, à la faveur de la nuit si l’on tient compte des propos du héraut Berry. Après cette terrible défaite, il se rendit dans l’un de ses châteaux jurassiens, mais bien après qu’il eut payé une forte rançon (il fut emprisonné dès qu’il eut traversé le Rhône). Il dut également faire hommage au roi de France pour sa principauté d’Orange, ce qui lui évita d’ailleurs de payer la totalité de sa rançon.
Lorsqu’en 1672, les paysans abattirent un chêne de la forêt des Franchises, ils trouvèrent dans le creux de celui-ci un combattant orangiste en armure qui avait voulu échapper aux dauphinois en se cachant dans cet arbre ; malheureusement pour lui, il resta bloqué dedans. L’armure fut retirée du tronc et vendue par la suite.
Il faut ajouter que plus de 200 orangistes se noyèrent dans le Rhône selon les chroniqueurs.
Les pertes dauphinoises sont infimes, quelques hommes d’armes.
Louis de Chalon perdit, non seulement ses terres dauphinoises, mais aussi sa principauté d’Orange et le duc de Bourgogne lui retira d’ailleurs tous ses privilèges acquis quand il appartenait à l’ordre de la Toison d’Or. Le sire de Chalon ne cessa de revendiquer ses possessions en Dauphiné auprès du roi de France. Ses droits sur la baronnie d’Anthon ne furent jamais reconnus puisqu’elle fut restituée à la maison de Saluces. Il n’obtint que de maigres compensations financières. Plus tard, en 1456, le futur Louis XI, alors dauphin, lui concéda le château de Fallavier. Guillaume de Chalon, son fils, revendiqua lui aussi la terre d’Anthon.
Après la défaite, le duc de Savoie, qui n’avait pas participé à la bataille, mais qui avait soutenu Louis de Chalon, perdit définitivement l’espoir de remettre le pied en Dauphiné ; il entreprit de conquérir l’Italie.
Raoul de Gaucourt confia la garde des châteaux de Colombier et d’Anthon à Gilet Richard, seigneur de Saint-Priest jusqu’au moment où Louis de Saluces fut reconnu comme légitime héritier de son oncle Bertrand de Saluces.
Le souvenir de la bataille d’Anthon s’est longtemps perpétué dans les mémoires, d’autant plus que de nombreux vestiges de cet affrontement ont été retrouvés : des armures, une très belle dague ciselée, des charniers…
Olivier PETIT
Historien médiéviste et auteur du blog La France médiévale.
Les positions tenues au matin de l’embuscade : l’armée du Prince d’Orange s’avance
dans un dispositif qui se referme sur lui comme une pince.
L’attaque : Rodrigue de Villandrado lance l’attaque suivi par les ailes qui se rabattent sur les flancs
et l’arrière de l’armée de Louis de Châlon. Cette dernière, surprise lors d’un déplacement, perd
toute sa cohésion et se débande face à l’assaut qui semble venir de partout, pourtant
menée par une troupe moins nombreuse.
Le roi Charles VII confisqua le château de Pusignan à Alix de Varax qui avait pris le parti du Prince d’Orange et en fit don à Rodrigue de Villandrando, dont la vaillance avait été déterminante dans l’issue du combat.
Rodrigue de Villandrando ne résida que peu de temps à Pusignan avec sa troupe, attiré par de nouvelles aventures, mais on peut aisément supposer que la vie des villageois ne fut pas facile au contact de ces dangeureux voisins.
Rodrigue de Villandrando, mercenaire et routier
Villandrando et son blason